Brésil : un pays-continent

Un pays dix-sept fois grand comme la France, tel est le Brésil avec ses mégalopoles, ses régions côtières, son agriculture et son Amazonie. Malgré son instabilité économique, le Brésil est un marché intéressant pour les entreprises françaises par sa taille et sa diversification.

 

Par Gaëlle Picut

 

Le Brésil connaît un développement économique et humain fait de crises et de rebonds. « Si j’ose une comparaison animalière, est plus proche du vol par à-coups d’un poulet que du vol linéaire et plané d’une hirondelle » analyse Frédéric Junck, président du groupe de communication FOR et président des CCE Brésil. « Le PIB est globalement en croissance, si l’on excepte l’année 2020, mais sans rebond impressionnant, confirme Lara Krumholz, Executive Vice-President Latin America chez Smart Ad Server et CCE Brésil. Le Brésil est un pays de long terme, avec des cycles longs, et il ne faut pas s’attendre à des retours sur investissement rapides. Il peut facilement tomber en crise, mais se relever aussi rapidement ». Le Brésil est la 11e économie au monde, il était la 8e jusqu’à la dévalorisation de sa monnaie, le réal. C’est aussi un pays qui a connu de grands scandales liés à la corruption. Vaste territoire, constitué de 27 États, il est fait de grands espaces, de plages de rêve, de mégalopoles et de villes moyennes. « São Paulo est la plus grande agglomération de l’hémisphère sud, avec 22 millions d’habitants » rappelle Isabelle Heude, directrice de la gestion client pour l’Amérique latine de Swiss Re Corporate Solutions et CCE Brésil.

Le pays compte 214 millions d’habitants, dont 85 % en zone urbaine. Sa population, longtemps jeune, est actuellement vieillissante, avec un taux de natalité en déclin : l’indice de fécondité est tombé à 1,76 enfant par femme. Il est à la fois homogène de par la langue et la religion et à la fois multiple, entre les zones côtières, l’intérieur des terres ou l’Amazonie. À l’image de sa population, très métissée, composée des  peuples indigènes du Brésil et des nombreux apports de l’immigration européenne, japonaise ou encore libanaise. Les déplacements entre États se font essentiellement par la route ou l’avion, le train étant très peu développé.

 

Une situation économique difficile

Le géant sud-américain a enregistré une croissance annuelle proche de 1 % entre 2017 et 2019 et a été en récession en 2020 (-4,1 %). En 2021, elle devrait atteindre +5 %, avant de ralentir à 1% en 2022. « L’économie brésilienne n’est pas repartie comme en Europe ou aux États-Unis, mais elle avait également moins chuté » constate Frédéric Junck. « Le Brésil évolue dans une région qui connaît une triple crise : sanitaire, économique et sociale. Tout ceci ne facilite pas sa reprise. À cela, vient s’ajouter la baisse de la croissance chinoise, qui est son premier partenaire commercial », analyse Charles-Henry Chenut, associé fondateur du cabinet d’avocats brésilien Chenut Oliveira Santiago, CCE, président de la commission Amérique latine et Caraïbes. Et en interne, l’année 2022 s’annonce incertaine et complexe, avec les élections présidentielles en octobre, même si l’économie est très déconnectée de la politique.

Le Brésil reste un pays fort. « Il dispose d’un marché intérieur important qui lui permet de faire le dos rond, et d’une forte capacité de rebond et d’adaptation. Mais il est forcément impacté par le contexte régional et international, où les indicateurs ne sont pas très bons » conclut Charles-Henry Chenut. « L’année 2022 va être compliquée, confirme Frédéric Junck, entre la crise Covid dont on n’est pas encore sorti, les élections et l’insécurité législative. Si les ré formes des retraites et du travail ont été lancées, celles de l’administration et des impôts ont été reportées. Mais il faut regarder à cinq ans et là, les raisons d’être optimistes existent ».

Les Brésiliens sont habitués à traverser des crises, sans beaucoup d’aides de l’État. « En dépit du Covid, d’une reprise de l’inflation, d’un taux de change défavorable et d’un président contesté, le Brésil avance. Les Brésiliens sont optimistes et ont tendance à voir le verre à moitié plein ». Par ailleurs, il rappelle que tous les États n’ont pas été frappés de la même façon par la récession, « par exemple celui de São Paulo a bien résisté ». « Les élections agitent les esprits et le scrutin est incertain, confirme Isabelle Heude, mais l’économie brésilienne, qui a connu de nombreuses crises, est très résiliente ». La crise Covid a accentué les inégalités, déjà fortes, à la fois entre les secteurs d’activité et les classes sociales. On estime que 20 millions de personnes ont rebasculé dans la pauvreté. « Il y a eu quelques aides sociales de l’État, mais faibles et la précarité alimentaire a fortement augmenté, constate Frédéric Junck. Cependant, cette pauvreté est davantage conjoncturelle que structurelle ». Et les nouvelles classes moyennes représentent un marché intéressant de plus de 100 millions de personnes. « Elles n’ont pas forcément un fort pouvoir d’achat mais elles consomment beaucoup et épargnent peu » constate Lara Krumholz. « L’ascenseur social fonctionne au Brésil et il n’est pas rare de voir de jeunes entrepreneurs, issus des favelas, revêtir tous les signes de la réussite. » estime Frédéric Junck.

 

Une présence française ancienne et forte

Il existe une amitié et une coopération solides et de longue date entre la France et le Brésil. Certaines entreprises françaises sont présentes au Brésil depuis presque un siècle. Les échanges culturels entre les deux pays, depuis Braudel ou Lévi-Strauss, sont forts. Et les relations tendues entre Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro ne sauraient faire oublier les liens historiques, militaires et économiques.

« Depuis 2020, il y a eu quelques fermetures et retours d’expatriés, mais la majorité des Français sont restés, constate Charles-Henry Chenut. L’Amérique latine et le Brésil restent des terres de croissance à terme et beaucoup d’entreprises françaises, comme Engie, Carrefour, Accor ou L’Oréal continuent à investir de façon conséquente au Brésil. C’est un signal fort ».

Avec un stock d’IDE d’environ 28 milliards d’euros, le Brésil est la deuxième destination des investissements français parmi les pays émergents, au coude-à-coude avec la Chine. Les multinationales y sont d’ailleurs très présentes : 39 entreprises du CAC 40 comptent au moins une filiale au Brésil. « Au total, ce sont plus de 1 000 entreprises françaises qui ont fait le choix de s’installer au Brésil et qui emploient près de 500 000 personnes », rappelle Frédéric Junck.

En 2019, 11 groupes français figuraient dans le classement des 200 plus grands groupes du Brésil, parmi lesquels : Carrefour Brasil (8e rang), GPA/Casino (9e rang), Louis Dreyfus (36e rang), Renault (63e rang), Tereos Internacional (73e rang), Engie Brasil (79e rang), ou encore Saint-Gobain (88e rang). Plusieurs d’entre elles occupent des positions clé sur le marché brésilien et pour beaucoup le Brésil représente un marché incontournable. Cette présence est également marquée par d’importants transferts de technologie, notamment dans les contrats civils et militaires (Naval Group avec un contrat de sous-marins, Framatome pour la construction d’un réacteur nucléaire, Airbus et son usine d’hélicoptères, Alstom qui a inauguré en 2015 l’unique site de fabrication de tramways du sous-continent grâce au contrat obtenu à Rio de Janeiro). Les entreprises investissent également massivement dans des projets de recherche et développement au Brésil, via leurs propres centres de recherche implantés sur le territoire ou dans le cadre de partenariats noués avec des structures externes (L’Oréal, PSA, Renault, Limagrain, Vallourec…).

Les secteurs porteurs au Brésil sont variés. En tête, la locomotive de l’agriculture et de l’agroalimentaire. « L’agriculture tire l’économie brésilienne. Ici, tout pousse et vite. Il s’agit d’une agriculture très professionnalisée et en pointe au niveau de la digitalisation » constate Isabelle Heude.

Maïs, soja, café, canne à sucre, agrocarburant et cacao sont les fers de lance de l’agriculture (cf. p. 42). Le Brésil est le troisième exportateur mondial de produits agricoles, derrière les États-Unis et l’Union européenne. « Le Brésil est une grande ferme » résume Frédéric Junck. Il est également le 1er producteur mondial de jus d’orange, de sucre, de café et le 2e de soja, derrière les États-Unis. C’est également le 2e producteur mondial de viande bovine. L’agro-business au sens large représente un tiers du PIB et une grande partie des exportations.

Au niveau industriel, le Brésil s’est fortement développé dans les secteurs aéronautique, de l’automobile, de la pharmacie, de la sidérurgie, du textile… Le pays a également des grandes capacités énergétiques, avec un secteur hydroélectrique qui assure 63 % de sa production électrique. « La matrice énergétique du Brésil est parmi l’une des  meilleures au monde, constate Frédéric Junck, avec ses barrages, ses éoliennes, ses centrales nucléaires ». À noter que la sécheresse historique qui frappe actuellement le Brésil entraîne une grave crise énergétique.

 

Explosion du digital

Le digital est en plein boom et la French Tech y a toute sa place. « En 2018, São Paulo a été le premier hub de l’hémisphère sud à être labellisé French Tech, indique Frédéric Junck. Elle est reconnue comme le centre le plus actif en matière d’innovation digitale dans toute l’Amérique latine. De nombreuses entreprises françaises ont choisi São Paulo pour attaquer cet immense marché ». « Le digital cartonne, notamment dans la fintech, l’edtech, l’e-santé ou l’e-commerce, confirme Lara Krumholz. La French Tech, c’est aujourd’hui une centaine d’entreprises, dont quatre licornes, avec Daky (application de livraison), Loggi (logistique), Ebanx (services financiers), Wildlife studios (jeux mobiles) ».

« Le Brésil est un pays bêta-testeur, très intéressant avant de lancer son offre dans le reste de l’Amérique latine ou aux États- Unis. Leroy Merlin a ainsi lancé au Brésil sa market place avant de la lancer dans d’autres pays, constate Lara Krumholz. Le Brésil est un bon compromis entre taille du marché et esprit d’ouverture des consommateurs ». En effet, les Brésiliens aiment la nouveauté. « Le défi est de  conserver leur intérêt et de pérenniser le succès. » complète Isabelle Heude.

Enfin, on peut évoquer comme secteurs porteurs pour les entreprises françaises, la santé, avec un secteur privé développé et très prisé des catégories les plus aisées, la formation et l’éducation, les villes durables, mais également la gastronomie où l’offre française est toujours très appréciée. « Dans le tourisme, il y a également des choses mettre en place, complète Isabelle Heude, car le Brésil reste un pays sous-visité ». Autre atout du Brésil : un secteur bancaire puissant et un système financier très en pointe.

 

Un pays qui se mérite

S’implanter au Brésil nécessite une vraie préparation. « Ce n’est pas un pays où l’on peut arriver en amateur, prévient Frédéric Junck. Il faut arriver avec une vraie stratégie, s’associer avec des locaux, et accepter les à-coups. La bonne méthode est non pas de créer une offre mais d’identifier une carence et de proposer une solution ». De son côté, Lara Krumholz invite les entreprises à « adapter et à tropicaliser leur offre ». « Le Brésil n’est pas un pays facile, confirme Isabelle Heude. Il faut avoir les reins solides et une vision à long terme ». Et ne pas sous- estimer les coûts et les temps de transport, dans un pays immense et aux routes de qualité irrégulière.

C’est un pays qui demande du temps (bureaucratie lourde, fiscalité et législation complexes…) et de l’argent. D’où la nécessité de s’inscrire dans la durée, d’avoir une implantation sur place, d’être en contact avec les consommateurs locaux. « C’est un exercice complexe, confirme Charles-Henry Chenut. Le Brésil se mérite, davantage que d’autres pays d’Amérique latine, plus petits et plus faciles à appréhender, comme la Colombie par exemple ». En revanche « le Brésil est un pays émergent peut être plus facile à attaquer que l’Inde, la Chine ou la Russie, estime Isabelle Heude, car l’adaptation y est plus rapide, du fait de nos cultures relativement proches ».

Autre conseil : « A l’image des Brésiliens, je conseille d’être résilient et créatif dans la gestion des clients et des crises » indique Lara Krumholz. Au coeur des affaires brésiliennes, les relations interpersonnelles et la convivialité font partie de l’esprit de groupe et il faudra y consacrer du temps. « Savoir également que les Brésiliens n’aiment pas la confrontation et risquent d’avoir du mal à vous dire ‘non’ », explique Isabelle Heude.

Et enfin, il ne faut pas sous estimer les différences culturelles entre Français et Brésiliens. « La proximité culturelle apparente est à double tranchant, analyse Charles-Henry Chenut. Il existe effectivement des liens très forts et une admiration réciproque entre les deux pays, mais l’interculturalité reste fondamentale. Les échecs sont souvent dus à une prise en compte insuffisante de ce facteur ».